Michel Aglietta * Conseiller, CEPII et France Stratégie. Contact : michel.aglietta@cepii.fr.
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Les innovations financières se sont accélérées dans les années
quatre-vingts sous l'effet des politiques monétaires de lutte
contre l'inflation et des répercussions de la crise de
l'endettement. Elles ont pris leur essor dans le marché mondial des
Les innovations financières se sont accélérées dans les années
quatre-vingts sous l'effet des politiques monétaires de lutte
contre l'inflation et des répercussions de la crise de
l'endettement. Elles ont pris leur essor dans le marché mondial des
actifs financiers en dollars. Elles ont affecté les systèmes
financiers des autres pays en y transmettant de nouvelles
conditions de concurrence caractérisées par des taux d'intérêt
réels élevés et par la hausse du dollar. Dans la perspective de
construire un marché européen des services financiers, ces
évolutions, qui ont été plus subies que décidées, posent des
problèmes si l'on veut en tirer parti. Trois ordres de
préoccupation se détachent : les incidences sur le financement de
l'industrie, l'hétérogénéité des structures financières entre les
pays européens, le contrôle monétaire et le degré de coopération
que les autorités nationales sont prêtes à accepter.
Pour combler son relatif retard technologique, l'Europe doit
augmenter sensiblement ses investissements d'innovation. Or ces
investissements, souvent spécifiques, à risques élevés et horizons
longs, appellent des relations solides et durables entre les
entreprises et leurs financiers, au service d'une prospective.
Telle n'est pas l'orientation des marchés financiers
internationaux. L'anonymat des relations financières, le souci
primordial de la liquidité, la recherche des plus-values en capital
par l'arbitrage généralisé, ne favorisent pas l'évaluation du
risque de l'innovation industrielle et le financement de la
modernisation des petites et moyennes entreprises.
D'ailleurs rien n'indique, dans un univers économique incertain,
que la mobiliérisation systématique des actifs financiers soit
l'idéal vers lequel toutes les structures financières doivent se
diriger. L'option allemande donne la prépondérance à
l'intermédiation bancaire, à l'autofinancement élevé des
entreprises, aux relations étroites et stables entre la finance et
l'industrie. Le modèle britannique privilégie les marchés de
capitaux perméables aux opérateurs étrangers, mais largement
déconnectés de l'industrie nationale. Entre ces modèles polaires,
il existe des traditions nationales d'organisation financière,
établissant des combinaisons différentes de l'intermédiation
bancaire et des marchés des capitaux. La formation d'un espace
européen des services financiers devra compter avec ces préférences
de structure qui créeront des difficultés plus tenaces que la
résistance à établir la liberté des mouvements de capitaux.
Parmi ces difficultés se trouvent les différences dans les
dispositifs du contrôle monétaire qui sont étroitement liés aux
types d'organisation financière. Ainsi l'efficacité de la politique
monétaire en Allemagne doit-elle beaucoup à sa transmission par les
banques et à une action conjointe par les quantités et les taux. Au
contraire, une politique exclusive par le taux d'intérêt monétaire,
dans un exemple de marchés ouverts où les banques peuvent toujours
emprunter pour financer des accroissements d'actifs, peut entraîner
un conflit d'objectifs entre le taux de change et les agrégats
internes. Il se pourrait donc que la plus grande coordination
monétaire impliquée par la marche vers l'intégration financière
européenne rencontre des obstacles à cause d'une perte d'efficacité
du contrôle monétaire dans certains pays. Si l'on n'y prend garde,
les conflits se résoudront par une plus grande variabilité des taux
de change, donc par une régression des acquis du système monétaire
européen.