Comment comprendre le financement des PME en France et en Europe ? Est-ce que tout va aussi bien que le disent les enquêtes (faites par les banquiers eux-mêmes) ou pas si bien que cela si l’on prend les chiffres d’encours de crédit (avec pourtant les taux d’intérêt les plus bas de la zone euro) et si l’on entend les plaintes des entreprises (PME, TPE, start-up...) ? Côté banque, les règles prudentielles, la surveillance bancaire européenne (avec l’union bancaire en préparation) et la concurrence interbancaire rendent l’octroi de crédit plus difficile, avec des marges plus faibles. En même temps, le monde bancaire voit la montée de la titrisation et de la désintermédiation permise pour les nouvelles technologies, souhaitée par des gestionnaires d’actifs et les assureurs, encouragée par les régulateurs et acceptée par les banques. Alors : un grand changement en cours, à un taux d’intérêt supérieur ? Il faut d’ores et déjà s’y préparer, tous.
Comment comprendre ce qui se passe pour le financement des PME en France ? Est-ce que tout va aussi bien que le disent les enquêtes ou pas si bien si l’on prend les chiffres d’encours de crédits toujours en faible croissance, avec pourtant les taux d’intérêt très bas que nous connaissons actuellement ? Ou alors est-ce que la situation est en train de se tendre, avec des banques plus inquiètes, plus contraintes et plus vétilleuses ? Ou encore est-ce que les banques ne savent pas financer l’immatériel, les TPE (très petites entreprises) ou la proximité ? Ou pire, y a-t-il un écart croissant entre le type de financement que cherchent les entreprises pour leur R&D (recherche et développement) et la « nouvelle économie » et les modalités d’offre des banques ?
Et comment comprendre aussi ce qui se passe en France par rapport à ce qui se passe dans les autres pays de la zone euro ? Nous voyons une Banque centrale européenne (BCE) qui agit de manière étrange. D’un côté, elle pousse au deleveraging, au désendettement des entreprises pour sortir de la crise. D’un autre côté, elle regarde de plus près les portefeuilles des banques, pour les renforcer dit-elle, sauf que cela les rend plus prudentes encore pour accorder des crédits. Et de plus, elle appelle à une reprise, celle-ci ne pouvant passer que par une augmentation des crédits aux PME leur permettant d’investir, puis d’embaucher. Que faut-il comprendre ? Comment en sortir ?
La demande de nouveaux crédits venant des PME est en France quasi stable au quatrième trimestre 2013. 6 % des entreprises demandent de nouveaux crédits à la fin de 2013, ce qui est le niveau moyen de l’année. 18 % demandent de nouveaux crédits d’investissement, ce qui correspond également à la moyenne de 2013. À la suite de ces demandes, neuf PME sur dix obtiennent les crédits qu’elles veulent (en totalité ou à plus de 75 %) pour leurs investissements et à hauteur de 68 %, contre 74 % au trimestre précédent pour les crédits de trésorerie. Cette baisse a un caractère saisonnier, mais qui n’explique pas tout. Il faut donc poursuivre l’analyse.
En effet, les écarts de demande et de satisfaction sont significatifs entre PME et ETI (entreprises de taille intermédiaire). Pour les lignes de crédit qui donnent droit à des tirages en cours d’année, 35 % des PME font des demandes (souvent en début d’année) et c’est le cas de 55 % des ETI, et les deux tiers environ des entreprises les utilisent (65 % des PME à la fin de 2013, contre 67 % au troisième trimestre, et 69 % des ETI). Cela est d’autant plus significatif que la part des ETI déclarant avoir demandé des lignes de crédit est en hausse à la fin de 2013 (55 %, contre 52 % au troisième trimestre), sachant que leur demande pour l’investissement et le court terme s’effrite en fin d’année, avec des taux d’obtention quasi stables.
Des données plus précises montrent d’autres faces de la question : les taux d’intérêt des crédits aux entreprises « non microentreprises » sont stables autour de 2 % et ceux aux microentreprises s’inscrivent vers 2,8 %, en légère hausse. On trouve des écarts significatifs selon l'âge des entreprises : celles de moins de trois ans obtiennent des conditions voisines des microentreprises (en hausse, vers 3 %) et voient leur part diminuer dans l’ensemble des crédits mobilisés : de 13 % en janvier 2012 à 11 % en octobre. En janvier 2014, 10 % des banques font état d’une baisse de la demande de crédit des entreprises, contre 30 % en décembre 2013. Ces baisses sont un peu plus fréquentes pour les PME que pour les grandes entreprises. Les marges pratiquées sur les prêts aux entreprises de risque moyen se réduisent pour le troisième mois consécutif, mais elles restent identiques pour les prêts les plus risqués.
Au total, les enquêtes ne montrent pas de sélectivité accrue des banques dans leurs crédits aux PME, ni de conditions particulièrement restrictives pour leurs accords. Mais on dira qu’il s’agit là d’enquêtes faites auprès des banques. Elles peuvent refléter l’effet conjoint de leur comportement et de celui des entreprises, pas le seul comportement ex ante des entreprises. En effet, il est assez vraisemblable que ces entreprises, avant de faire leurs demandes de crédit bancaire, intègrent deux discours. Le premier est le « discours bancaire ». Il reflète les conditions auxquelles les banques elles-mêmes se trouvent exposées, et elles s’en plaignent, en liaison avec les ratios de fonds propres, de levier et de liquidité issus des règles de Bâle III. Le deuxième discours vient de la Banque de France et de la BCE, en faveur d’un désendettement ordonné des entreprises et d’une montée d’un financement plus « marchéisé » et moins « bancarisé ». Dans ce contexte, les entreprises, notamment les plus « fragiles » ou qui se perçoivent comme telles, autolimitent leurs demandes de crédit. Les demandes en sont alors d’autant plus aisément satisfaites. Évidemment, cette « autolimitation » n’est pas observable, d’où les déclarations dans lesquelles les banquiers disent qu’ils font leur travail tandis que les PME se plaignent des « anicroches » qu’elles subissent.
Est-ce un débat permanent (les fameux rapports banque/entreprise), un débat après-crise, sous l’effet de Bâle III ? Ou, plus profondément, est-ce la trace d’une transformation de notre système de financement en zone euro ? Nous penchons pour cette dernière hypothèse. Notre mode de financement de l'économie change. Il faut s’y adapter. Et ceux qui l’auront compris les premiers, entreprises, banques, intermédiaires… et place financière (de Paris ?), seront les gagnants. Car il s’agit d’une transformation structurelle, à préparer dès maintenant.
La progression des crédits aux sociétés non financières s'établit à +0,6 % en janvier 2014, après une augmentation de +0,2 % en décembre 2013. Plus précisément, et de manière plus intéressante, la croissance des crédits à l’investissement augmente légèrement (+2,3 % en janvier 2014, contre +2,0 % en décembre 2013), tandis que le repli des crédits de trésorerie devient plus modéré (–3,4 %, contre –4,9 %). Par taille, la production de nouveaux crédits (corrigée des variations saisonnières) est quasi inchangée pour les montants ne dépassant pas 1 M€, elle atteint 5,5 Md€ en janvier après 5,6 Md€ en décembre, mais elle diminue pour les montants supérieurs, 9,1 Md€ en janvier pour 10,6 Md€ en décembre. En même temps, le taux d’intérêt moyen des nouveaux crédits est en hausse pour les montants unitaires inférieurs à 1 M€ (2,92 % en janvier après 2,87 % en décembre), mais en baisse pour les montants supérieurs (1,98 % après 2,08 %).
Bien sûr, ces chiffres sont conjoncturels et peuvent se retourner. Mais ils indiquent selon nous une triple tendance, importante et significative :
D’abord, le financement des entreprises, PME, ETI, TPE et « nouvelles » entreprises, fait l’objet d’un traitement de plus en plus précis des banques et des autorités. Il est clair pour tous les décideurs privés et publics que la reprise économique et celle de l’emploi passent par les PME-ETI qui représentent plus de 70 % de la valeur ajoutée et de l’emploi.
Ainsi, le rapport de l’Observatoire du financement des entreprises (Jeanne-Marie Prost, médiatrice du crédit, janvier 2014) note que les marges des PME se sont encore dégradées jusqu’en 2012 (fin de la période étudiée par le rapport). Il ajoute que les fonds propres des PME ont assez bien résisté à cette érosion, avec un taux d’investissement qui se maintient, mais avec des investissements plus défensifs qu’offensifs, plus de renouvellement que d’innovation, le tout dans une phase de baisse des taux d’intérêt.
De manière plus précise, les situations au sein des PME se mettent à diverger, avec des entreprises qui investissent relativement moins et s’endettent relativement plus et à un coût relativement plus élevé que leurs concurrents, le tout dans un contexte de taux d’intérêt qui restent faibles. En même temps, les taux français restent au-dessous des taux allemands (autour de 3 %), contre 4,5 % pour les taux italiens et 5 % pour les taux espagnols.
Au fond, les PME françaises se distinguent en trois groupes :
Un autre rapport (Financement en dette des PME-ETI, nouvelles recommandations, Paris Europlace, mars 2014) renforce ce point. Il part du fait que le financement des PME-ETI est, en France, d’origine bancaire à 90 % (700 Md€ au total, dont 420 Md€ pour les PME et 280 Md€ pour les ETI) pour juger que cette dépendance est trop forte, d’autant que de plus en plus de solutions se présentent, en toute sécurité bien sûr. En effet, les PME-ETI demandent des sources de financement multiples, pas seulement « pluribancaires », mais avec des maturités plus longues et des remboursements bullet, cela afin de diminuer leur risque de refinancement. Il est également clair que les gestionnaires d’actifs et les assureurs cherchent eux aussi des financements à des taux attractifs sur des durées plus longues que les crédits bancaires traditionnels.
Ainsi, tout pousse à une évolution du modèle de financement des PME et plus encore des ETI vers un plus grand recours à des ressources non bancaires. Ces ressources sont aujourd'hui plus chères que les ressources bancaires. Les PME bénéficient en effet d’un traitement de faveur des banques, pour des raisons commerciales de recherche de clientèle, le crédit étant un « produit d’appel », étant entendu que ces conditions avantageuses (les plus avantageuses en zone euro, rappelons-le, à la date d'écriture de ce papier, mars 2014) ne pourront durer. Les entreprises doivent se préparer à cette évolution, comme les banques, comme les marchés.
La liste des produits de financement non bancaires ou non directement bancaires est longue. Elle va être enrichie en fonction des caractéristiques des PME-ETI :
Selon un sondage de Bpifrance, 15 % des sondés trouvent que les financements immatériels sont aussi faciles à mobiliser que les financements matériels, mais 55 % les trouvent plus difficiles à mobiliser et 30 % « tellement difficiles à mobiliser que seul l’autofinancement permet de tels investissements ». Dans ce contexte, une entreprise qui se développe avec et par l’immatériel, ce qui paraît la seule voie pour notre croissance, se trouve face à des risques croissants de financement, dépendant largement de l’autofinancement dans un contexte qui est toujours difficile. Cela explique pourquoi Bpifrance lance des « prêts de développement », avec une enveloppe de 2 Md€ en 2014, sans garantie de l’entreprise et de l’entrepreneur (les risques sont couverts par des fonds de garantie dotés par l'État, les régions, la Banque européenne d’investissement – BEI – ou des partenaires privés), sur sept ans avec deux ans de différé. Évidemment, il s’agit là d’une proposition qui bénéficie de conditions spécifiques, liées à l’origine même de Bpifrance, mais on peut penser que cette proposition répond à un vrai besoin : le financement de l’immatériel sur des périodes longues avec des garanties limitées. Les autres banques vont chercher à y répondre, avec des apports en fonds propres et des financements privés. Le financement de l’immatériel pose en fait un problème spécifique aux PME et paraît adapté à de nouvelles formes de financement.
Plus simple : on sait que ce nouveau système de financement a plusieurs avantages, mais qu’il est aujourd’hui plus cher que l’intermédiation classique (et le restera en termes faciaux). S’il apparaît important, pour la croissance et l’emploi en France, mais aussi pour la place financière de Paris, de le soutenir, il faut travailler à en réduire le coût sans en diminuer bien sûr la qualité. Cela passe par le développement d’une plate-forme à visée européenne. En zone euro, en effet, la France bénéficie d’une expertise unique en matière de financement, d'épargne, d’importance des PME et aussi d’importance de leurs besoins. C’est la base de départ pour un projet européen. C’est bien la raison pour laquelle il faut travailler sur les exigences de cotation et d’information pour donner corps à ce marché.
Plus intégré : c’est la condition du développement de ces produits et d’une place financière de Paris spécialisée pour la zone euro. Cela implique de développer une industrie de l’analyse crédit, avec une notation claire et adaptée. Les investisseurs ne sont pas toujours équipés en ce domaine et, en toute hypothèse, le développement d’une industrie spécialisée est la base d’une métrique plus sûre, où les comparaisons seront plus simples et opposables aux tiers. Cela veut dire qu’il faut pousser à la constitution d'équipes plus importantes entre institutionnels, entre banques et institutionnels ou encore entièrement externalisées, pour créer des entités peu nombreuses et crédibles, comme le sont les agences de notation pour les grandes entreprises.
Plus en amont, enfin : il importe de sensibiliser les grosses PME et les ETI à cette recherche de nouveaux financements, au contact croissant avec les marchés et en complément de leur approche plus classique des relations bancaires. La culture du « produit crédit » est décisive dans cette nouvelle démarche.
En matière de financement de ses entreprises, l'économie française est à une croisée, complexe, de chemins. Les grandes entreprises sont mondiales, au courant des produits et des places, avec des trésoriers et des financiers formés. Les PME françaises sont moins fragilisées que leurs alter ego en zone euro. Elles entrent dans un processus mesuré de désendettement (l’essentiel du problème est ou a été au sud et en Irlande).
Pour autant, la majeure part du monde des entreprises se découpe selon leur taille entre PME et ETI et selon leur solidité entre fragiles et solides. Les PME fragiles sont et seront bancarisées. Leur devenir dépend de la conjoncture, de leurs choix et de leur santé relative. Les PME solides peuvent continuer une stratégie de financement dual – autofinancement plus crédit bancaire – ou bien aller vers les nouveaux produits de crédit qui naissent (Euro PP, obligations) ou ouvrir davantage leur capital. Une nouveauté majeure est celle des PME-ETI pour lesquelles plus de produits sont disponibles, afin d’accélérer leur croissance. Il faut ajouter ici que ces PME-ETI ont beaucoup de traits de la « nouvelle économie » : services à haute valeur ajoutée, forte croissance. Ces PME-ETI sont souvent des entreprises à très grande vitesse : il est décisif que des modes de financement adaptés les escortent.
Il faut ajouter à cette présentation que ce mouvement de financement plus adapté aux PME-ETI va sans doute en escorter un autre, plus direct, transparent, granulaire et localisable, celui de ces plates-formes de financement direct qui sont en train de naître. La désintermédiation va, à son tour, emprunter plusieurs voies.
Président, Betbèze Conseil ; ancien chef économiste, Crédit agricole SA. Contact : jpb@betbezeconseil.com.