En France, les institutions coopératives et mutualistes sont un indéniable succès économique : elles représentent près de 60 % des dépôts bancaires, assurent un véhicule sur deux, près d'une habitation sur deux, une complémentaire santé sur deux. Cette réussite tient à de nombreux facteurs : forte implantation locale, compétitivité tarifaire… Les détracteurs ne manquent pas de rappeler que, pendant longtemps, les institutions mutualistes, en particulier bancaires, ont bénéficié de privilèges qui étaient autant de distorsions de concurrence. Néanmoins, ces privilèges ont disparu depuis plus de quinze ans, et ne peuvent donc expliquer la persistance et la constance de la réussite du secteur mutualiste et coopératif.
Paradoxalement, alors même que ce " modèle " mutualiste démontre que son succès ne reposait pas sur des privilèges accordés par un État bienveillant, il est amené à se remettre en question. En effet, un fort mouvement de démutualisation (i.e la transformation d'une société mutuelle en une société par actions), venu des pays anglo-saxons, est apparu depuis quelques années. Cette tendance provoque en France des réactions contrastées, et amène à s'interroger sur l'avenir du mutualisme, en tout cas sous sa forme actuelle. Plus fondamentalement, cette évolution invite à se poser une question simple : peut-il y avoir coexistence du modèle capitaliste et du modèle mutualiste, ou l'un des modèles doit-il s'imposer irrémédiablement ?
L'ambition de ce numéro spécial de la Revue d'économie financière est d'aborder les différents aspects de ces questions, et de rendre compte de la diversité des approches. Les problèmes se posent en effet en termes différents selon que l'on s'intéresse à la banque, à l'assurance ou à la santé. Par ailleurs, cette problématique ne saurait être réduite à un débat franco-français, et il nous a semblé indispensable de donner une perspective européenne à ce numéro. Nous avons aussi souhaité apporter un éclairage historique, qui expose les origines et les facteurs qui ont contribué à l'émergence du secteur mutualiste. Enfin, plus largement, et fidèle en ce sens à la tradition de la Revue, nous avons voulu donner la parole aux différents acteurs : présidents de mutuelles, syndicalistes, universitaires et professionnels.
La première partie de ce numéro spécial dresse un état des lieux du secteur mutualiste, de son essor au XIXème siècle aux phénomènes de démutualisation récents. Elle se concentre sur quelques aspects fondamentaux : quelles sont les racines, philosophiques et historiques, du mutualiste ? Comment s'est-il développé ? Quel est son poids économique ? Le statut mutualiste est-il un handicap ou au contraire une force ? Dans une deuxième partie, les différentes contributions débattent des réponses possibles, et esquissent les perspectives futures, que ce soit dans le domaine du rapprochement du secteur mutualiste et capitaliste, de la croissance externe ou de l'internationalisation.